Noah L. Ashmore • where's my mind ? - [Pouffsouffle]

Parce que tout va trop vite, en ce monde, il s’en est fallu de peau pour que je perde pied. J’entame aujourd’hui ma cinquième année à Poudlard, et je me souviens à peine des précédentes. Qu’il me soit arrivé quelque chose de favorable ou non, peu m’importe. Rien pour le moment, n’est parvenu à laisser une trace. J’aurais tellement aimé, pourtant, avoir de quoi papoter avec tous ces élèves autour de moi. Mais non, rien, absolument rien. Sans doute étais-je condamné à être unique pour l’éternité, et par là bien sûr, j’entends plus seul que privilégié. C’est que je ne peux m’empêcher d’être détestable avec ceux qui m’entourent : tous les élèves qui ont eu la malchance de bloquer un jour mon passage, s’en mordent cruellement les doigts, et me regardent à présent avec une peur et un mépris, qu’ils ne dissimulent que pour s’éviter à nouveau mes foudres. J’ai appris, c’est vrai, à cultiver mon égo, qui va toujours grandissant. Et si je suis fier de moi, et de ce que je suis devenu, je le suis beaucoup moins de l’image que je donne, quoique je ne cherche aucunement à la changer : un mauvais garçon, sans cœur et sans morale, qui brise autant de cœur qu’il en dérobe. C’est qu’ici, personne ne m’intéresse. Je ne suis pas sans reproches, certes. J’avoue ma tendance à la superficialité et ma capacité à rabaisser mon entourage, néanmoins, c’est de moi que personne n’est digne, et jamais je ne pourrais accepter le contraire. Je préfère mille fois la solitude, que me forcer à côtoyer ces imbéciles, perclus de fierté. Le plus effrayant, sans doute, est de voir à quel point je me reconnais dans cette description peu flatteuse de mes camarades. Ainsi, je ne vaudrais pas mieux ? Voilà qui est intolérable et jamais, au grand jamais, je ne permettrai à quiconque de penser une chose pareille. Que ce soit la vérité ou non, d’ailleurs. Que je me voile la face ? Je crois que depuis mon enfance, je ne fais que cela. Je n’ai rien d’exceptionnelle, si ce n’est un physique agréable et ma capacité d’apprentissage illimitée. Je n’ai guère de talent pour la magie en général, et suis incapable de lancer un sortilège efficace. Et si personne ne voit cela, à quel point malgré mes fanfaronnade, je ne vaux rien, ce n’est pas ma faute.

Je n’ai jamais eu honte de rien, cependant. C’est sans doute ce qui fait ma force, et la faiblesse des autres. Si quelqu’un a pu un jour, cerner mon caractère, si simple qu’il en devient complexe, alors il n’en aura rien dit. D’ailleurs, comme cela serait-il possible, puisque ce que je suis réellement, je le cache avec soin. Je suis loin d’être ce que je montre, loin d’être ce que tout le monde pense ou à un jour penser de moi. Je ne suis qu’un gosse, qui a bien du mal à grandir. Le futur me fait peur. J’aimerai tant savoir ce qui m’attend « après ». C’est comme si toute perspective d’avenir s’effaçait après Poudlard, comme si je n’avais pas de lendemain possible. Etait-ce possible que je sois condamné si jeune ? C’est vrai que ma vie, jusque là, était la preuve d’une inutilité grandissante. Je ne marquais personne et rien ne m’importait. Je ne faisais rien d’autre qu’errer dans cette vie qui ne semblait pas être la mienne : je gâchais celle des autres, et celle que la mienne aurait du être. Qu’avais-je raté ? Quel chemin avais-je manqué ? Un trou béant avait pris la place de mon cœur, et le manque que j’en ressentais se faisait plus fort d’année en année. Etait-ce vraiment possible d’être né pour rien, ni pour personne ?

« … Noah, tu peux… » Je me tournai vivement vers celui qui avait osé interrompre le fil de mes pensées, aussi mornes soient-elles, et lui lançait le regard le plus noir dont j’étais capable. Mon vis-à-vis fit un pas en arrière, reprit son sac, et sortit du wagon, sans demander son reste. C’était le genre de scène qui je provoquais, souvent. Je n’avais aucun ami, et n’en souhaitais pas. J’avais toujours pensé être exceptionnel. Je m’étais lourdement trompé, et n’avais pas trouvé d’autres solutions pour rattraper cela que de devenir la terreur de tous. Je me perdais de plus en plus dans ce que je n’étais pas. Mais au fond, qui étais-je réellement ? Si j’étais destiné à ne rien faire, à disparaître bêtement après mes sept années d’études, je ne voyais nullement l’utilité de faire des efforts. Cette façon de penser ne me ressemblait peut-être pas, mais je ne voyais plus d’autres alternatives. J’étais quelqu’un, avant, capable de mener mes troupes où bon me semblait, et si je charmais toujours ces dames par mes airs mystérieux, elles se détournaient bien vite devant mes manières brutales et mes regards venimeux. Je me disais parfois, que quelqu’un sans doute, parviendrait un jour à me résister. Qu’on me rabattrait mon caquet, que je puisse enfin libérer ce flot de paroles que je retenais, ce flot de haine qui allait grandissante, et que je ne dirigeais vers nulle autre que moi. Je méritais mon propre mépris, autant que celui des autres. Mais c’était avant tout un combat contre moi-même que je devais mener. Car je valais bien mieux que tout ce que je montrais depuis des années, je le savais avant même d’entrer dans cette école. Je l’avais écrit même, et l’avais plus d’une fois certifié à mon père : j’étais aussi parfait qu’on pouvait l’être. Pour quelle raison avais-je ainsi annihilé toutes mes capacités ? Pourquoi étais-je devenu si contradictoire ? Et surtout, pourquoi si méchant et solitaire, alors que je n’aspirais qu’à être entouré, admiré, et pourquoi pas… aimé ?

« Appuyé contre la fenêtre, je ne prêtais aucune attention aux élèves qui m’entouraient, pourtant fort bruyants. Ils ne devaient pas avoir plus de 13 ans, mais je réalisais avec plaisir que je n’avais aucune envie de les faire taire. Aujourd’hui, j’entamais ma septième, et dernière année. A présent, j’avais des souvenirs, et des espoirs. Je m’étais considérablement amélioré dans le domaine de la magie, et me sentait près à voir naître mon premier patronus. J’aurais aimé qu’il prenne la force d’un puissant félin, ou d’un de ces petits animaux aussi mesquin qu’agile. Je n’étais pas encore entièrement guéri : il m’arrivait parfois, de sombrer à nouveau dans une triste et profonde mélancolie, et je n’avais toujours aucun ami. Non, ce que j’entends par là, c’est que je parvenais maintenant à apprécier ce que j’étais devenu, à m’améliorer même. Si je paraissais toujours être le vilain garçon que tous, étaient habitués à voir, je parvenais maintenant à rire. Oui, je riais beaucoup, peut-être un peu trop du malheur des autres, certes, néanmoins, je n’étais plus l’être taciturne que j’avais été, il y a de cela quelques années à peine. J’avais accepté ma nature solitaire, il me semblait aujourd’hui impossible de penser autrement : je passerai sans doute ma vie seul, mais sans personne pour me contredire, et c’était exactement ce qu’il me fallait. Diriger, et prendre les commandes, voilà ce qu’il me fallait. Je me fichais éperdument qu’on m’aime, ou qu’on s’intéresse à moi. Après tout, n’était-ce pas comme cela qu’on me voyait à présent ? »

Mon sourire s’effaça. A vrai dire, il n’y en avait jamais eu. Non, je ne riais pas plus, et ignorais encore ce que je deviendrais, une fois cette année terminée. J’étais mort de peur à l’idée de ce que me réserverait l’avenir. Méritait-il d’être clément ? Je n’étais rien de ce que j’aurais aimé être et à 17 ans, j’avais l’impression d’en avoir moins que 12. La sorcellerie ne me convenait pas, et pourtant, sans elle, qu’aurais-je été ? Sans mon statut de sorcier, je n’étais rien, absolument rien. Devenir un simple humain, ne me convenait pas. Je voulais rester quelqu’un d’exceptionnel, et ma baguette était tout ce que je possédais d’extraordinaire. Je brûlais à l’intérieur, brûlais d’être reconnu pour ce que j’étais, enfin. On me voyait encore comme le grand méchant loup, ce que je n’étais pas, mais aspirais à être. La solitude, il n’y avait que ça de bon, et je ne me voyais autre que vilain garçon. J’avais terriblement peur de m’affaiblir. Ce mystère et cette aura de brutalité et de mépris qui m’entourait, était tout ce que je possédais : ce que je cachais au fond de moi, ne demandait qu’à s’effacer. Car ce que j’avais découvert il y a peu… un ou deux ans, tout au plus, ne m’avait pas plu. J’avais découvert cette envie de protection, cette envie d’être fort aux yeux de quelqu’un, cette envie de plaire, cette envie d’être là pour quelqu’un d’autre que pour moi. Et ça ne cadrait pas, no, ça ne cadrait pas du tout avec le degré d’égocentrisme que je me donnais. J’étais l’élève sérieux et appliqué, j’aimais apprendre et toujours être le premier. Même si je n’excellais pas dans les sortilèges, j’avais atteint un niveau plus qu’acceptable. J’étais l’élève inaccessible et égoïste, qui ne voyait que par lui-même, et refusait toute tentative d’approche. Je montrais tout ce que je devais être, tout ce que j’aurais voulu être. Et pourtant, depuis que je l’avais rencontré, elle, quelque chose en moi se débattait et tentait désespérément de se faire entendre. Cette part aimable et ce cœur trop bon, que je ne comprenais pas. Cette envie de donner, de partager, qui ne me ressemblait pas, et qui pourtant, s’avérait être moi.

Toutes ces certitudes et tout ce que je pensais être juste, être moi, s’étaient soudainement envolés. Je n’avais plus aucune idée de ce que je voulais être, au fond. Aspirais-je toujours à être… apprécié ? Ou cette quête de pouvoir, illusoire, devait-elle rester mon but premier ? Je ne parvenais pas à faire le tri, mes souhaits… tout cela, ça n’avait plus grand importance. Avec elle, j’étais différent. Elle était la première que je pouvais appeler « mon amie », et pourtant, je refusais catégoriquement de la classer aussi facilement. Qui était-elle au fond ? Que sa détresse m’interpelle, que son histoire me désole, peu importe. Je ne devais en avoir cure. Je ne devais vivre que pour moi-même, dans ma solitude et mon égocentrisme. Ce que je ne parvenais plus à faire. J’en étais même rendu à rendre service à mon prochain. Et le pire était sans doute de voir à quel point j’appréciais cela, toute l’admiration que je lisais dans les yeux des plus jeunes, l’envie dans le regard des jeunes femmes. Comment auras-je pu ne pas aimer cela ? Et pourtant, je persistais à rester cet être solitaire, préférant maintes fois la compagnie de ses livres. Et sa compagnie, à elle. Je me levais alors brusquement, faisant taire les bavardages des gosses qui m’entouraient. Je m’emparais de mon sac, refusant de réfléchir à ce que je faisais, car si je m’abaissais à penser, en cet instant, alors jamais je ne me serais bougé de cette manière. Je savais pertinemment ce que ce voyage représentait pour elle. Je le savais. Elle avait besoin de moi, et quelque part, j’avais besoin d’elle, d’une façon subtile, et indescriptible. Et s’il le fallait, je traverserais le train entier, rien que pour la trouver…